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#6 - Pourquoi cherchons-nous à lisser les différences, plutôt que d’en faire un outil de transformation ?

Dernière mise à jour : 20 oct.


Casse le moule, pas ton clavier - La Capsuleuse
Casse le moule, pas ton clavier - La Capsuleuse

Dans son ouvrage La tyrannie de la norme, Todd Rose rappelle un paradoxe saisissant : après avoir étudié 4063 pilotes de l’US Air Force, Daniels calcula le “pilote moyen” sur dix dimensions physiques (taille, poitrine, longueur des manches, etc.). Résultat : pas un seul pilote ne correspondait au profil moyen.

« Concevoir un poste de pilotage pour le “pilote moyen” revenait en fait à n’en concevoir pour aucun ».

 

Cette anecdote illustre un dilemme universel : nous bâtissons nos normes – juridiques, médicales, sociales – autour d’une moyenne censée inclure tout le monde, mais qui finit par n’épouser personne.

 

 

⚖️ Axe Droit : entre égalité formelle et équité réelle

Le droit fixe des règles communes, garantes d’un principe d’égalité. Mais concevoir des dispositifs organisationnels ou techniques fondés sur une moyenne ne revient-il pas à exclure, de fait, toutes les singularités ?

La jurisprudence apporte ici une respiration : en interprétant la norme, le juge transforme l’égalité abstraite en équité concrète, en reconnaissant des aménagements raisonnables ou des exceptions nécessaires. Ainsi, la règle cesse d’être un filtre d’exclusion pour devenir un outil d’ajustement.

 

 

🩺 Axe Santé : quand la statistique maltraite

En santé, l’usage des données statistiques (taux de survie, protocoles standardisés) sécurise la pratique. Mais fonder l’organisation du soin sur « la majorité des cas » ne risque-t-il pas de conduire à une maltraitance invisible, où la singularité de chacun devient une anomalie à gérer plutôt qu’une ressource à mobiliser ?

Réduire la clinique à des chiffres, c’est risquer d’effacer l’individu derrière le modèle prédictif. L’éthique du soin nous rappelle que la dignité exige une attention à la singularité – même si elle échappe à la courbe de Gauss.

 

 

🧠 Axe Sciences humaines : la norme comme injonction sociale

Au-delà du droit et de la médecine, la norme agit comme mécanisme de régulation. Mais en structurant le champ social, ne risque-t-elle pas d’enfermer les individus dans une conformité qui inhibe leur potentiel créatif et leur capacité d’émancipation ?

La norme n’est jamais neutre : elle façonne nos représentations et nos comportements.

Son internalisation conduit à une tension entre l’exigence d’être soi et la pression de la conformité.

Lorsqu’elle se fige en injonction, elle stigmatise les écarts et rend invisible la richesse que portent les différences – imposant parfois une souffrance silencieuse aux individus contraints de s’y adapter, au détriment de leur potentiel transformateur.

 

 

⚔️ Contrepoint nécessaire

Comme le rappellent aussi bien les juristes (Kelsen) que les philosophes (Canguilhem, Foucault), la norme protège autant qu’elle contraint. Sa fonction n’est pas de figer la société, mais de poser des repères communs pour éviter l’arbitraire – à condition qu’elle reste évolutive et ouverte à la diversité.

 

 

🌱 Conclusion transformationnelle

Concevoir pour la moyenne, c’est souvent concevoir pour personne.

Concevoir en intégrant la diversité, c’est ouvrir la possibilité de répondre à chacun.

Plutôt que de lisser les différences, nous pourrions les considérer comme des écarts porteurs d’information, de nuances et parfois d’innovation. Ces écarts – qu’ils soient corporels, cognitifs, sociaux ou culturels – ne sont pas nécessairement des anomalies, mais des indices précieux pour ajuster nos manières de travailler.

En cessant de redouter la différence, il devient possible d’y voir un levier de transformation, discret mais réel.

 

 


📚Sources :

Cécile Barrois de Sarigny, Hans Kelsen, Canguilhem, Foucault, Conseil d’État, Lalonde, L., Collectif, Éthique et droit, CNCDH, Claire Compagnon, Véronique Ghadi, UFR SHS-Metz, Hugues Lenoir, François Jullien, Amartya Sen



Extrait de La tyrannie de la norme, Todd Rose :

« À partir des données relatives à la taille qu'il avait recueillies sur 4063 pilotes, Daniels calcula la moyenne des dix dimensions physiques considérées comme les plus pertinentes dans le cadre de la conception des postes de pilotage, notamment la taille, le tour de poitrine et la longueur des manches. Celles-ci représentaient les dimensions du « pilote moyen », que Daniels définit généreusement comme quelqu'un dont les dimensions se situaient dans les 30% médians de la fourchette de valeurs de toutes les dimensions [...] Ensuite, Daniels compara tous les pilotes un par un au pilote moyen [...] Sur 4063 pilotes, pas un seul ne se situait dans la fourchette moyenne pour les dix dimensions [...] Concevoir un poste de pilotage pour le pilote moyen revenait en fait à n’en concevoir pour aucun. »

 


 

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