#3 - Quand la vitrine éthique devient mirage
- La Capsuleuse

- 22 août
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 oct.

1. SITUATION DE DÉPART
Un grand groupe privé de santé affiche ses engagements : entreprise à mission, inclusion, handicap. Des mots qui rassurent, qui inspirent confiance.
Une soignante candidate à un poste de faisant-fonction de cadre de bloc opératoire.
Appel de la DRH : trop tard, le poste est déjà pourvu, mais elle lui propose le même à 120 km. La candidate le refuse, poliment. L’entretien reste cordial. Avant de raccrocher, elle demande si son Asperger, mentionné dans sa lettre de motivation, soulève une question. Surprise, la DRH avoue ne pas l’avoir lue.
Les mois passent, le poste local réapparait. Trois fois. La candidate repostule. Trois fois. Aucune réponse. La DRH est injoignable.
Puis un jour, un mail tombe : « vous n’avez pas le profil ».
Hier, oui. Aujourd’hui, non. Elle cherche une explication, contacte le service RH de la clinique, puis la maison-mère. En vain.
2. PROBLÉMATIQUES OUVERTES
Quelles attentes légitimes l’affichage d’un engagement handicap créé-t-il chez les postulants ? Cela n’incite-t-il pas à baisser la garde ?
Jusqu’où un candidat doit-il se dévoiler, notamment si sa particularité se révèle rapidement après son embauche ?
La mention d’un profil atypique est-elle gage de discrimination positive ou de discrimination ?
La réponse « vous n’avez pas le profil » suffit-elle à satisfaire le principe de transparence et le droit à l’information des candidats ? Quid de l’exigence légale de non-discrimination ?
Comment distinguer un traitement différencié justifié d’une discrimination illicite ?
À ce stade peut-on parler de discrimination, ou seulement de ressenti ?
L’inclusion se limite-t-elle aux labels ?
3. ANALYSE CROISÉE
Axe Droit
Le Code du travail interdit explicitement toute discrimination liée au handicap. La jurisprudence rappelle que la charge de la preuve est aménagée : au candidat de laisser supposer par l’apport d’éléments, à l’employeur de démontrer l’absence de discrimination.
Dévoiler son handicap : la loi n’impose pas de le déclarer. C’est un choix personnel. Mais une fois révélé, l’employeur est tenu d’en tenir compte dans le cadre des aménagements raisonnables. Se pose alors la question : la transparence protège-t-elle le candidat, ou l’expose-t-elle à l’exclusion ?
Inclusion et labels : en France, certains labels (Diversité, Égalité professionnelle) sont délivrés par l’AFNOR pour 4 ans, avec un contrôle intermédiaire. Mais l’audit repose surtout sur des procédures déclarées par l’entreprise, rarement sur le vécu des candidats. Le label n’empêche pas, en pratique, la persistance possible de biais discriminatoires.
Transparence et droit à l’information des candidats : le droit français n’oblige pas un recruteur à motiver le rejet d’une candidature. Toutefois, le Défenseur des droits souligne que l’absence de réponse ou l’usage de formules vagues (« vous n’avez pas le profil ») entretient une opacité contraire à l’égalité des chances.
👉 Jusqu’où le droit peut-il garantir l’égalité, si l’entreprise se réfugie derrière le silence ou de vagues justifications ?
Axe Santé
L’autisme : les facteurs génétiques et environnementaux dont il est issu expliquent la variété des tableaux cliniques. Il n’existe pas un autisme, mais des autismes, avec des intensités et des besoins très différents.
L’autisme sans déficience intellectuelle : appelé TSA (Trouble du Spectre de l’Autisme) sans DI, il concerne des personnes dont l’intelligence est dans la norme ou supérieure, mais qui rencontrent des difficultés dans les interactions sociales. Ce profil s’accompagne également de comportements spécifiques, tels que les intérêts restreints, la réactivité sensorielle, les stéréotypies.
La femme autiste : longtemps invisibilisée dans les études, elle déploie des stratégies de camouflage – consciemment ou non – pour s’adapter aux attentes sociales. Elle est de fait moins repérable, mais au prix d’une fatigue psychique importante et d’une vulnérabilité accrue à l’exclusion professionnelle.
👉 Ces réalités cliniques invitent à s’interroger : comment sont-elles perçues dans le monde du travail, et avec quelles conséquences pour le recrutement ?
Axe Sciences humaines
L’inclusion affichée dans les entreprises masque souvent une stigmatisation silencieuse des profils atypiques. Erving Goffman a montré comment un « stigmate » suffit parfois à fermer des portes, même lorsque les compétences techniques et humaines sont avérées, même en l’absence de critères rationnels. Le discrédit social se poursuit malgré les discours inclusifs.
Les labels et audits rassurent sur le papier, mais l’expérience des candidats suggère que la différence peut conduire à une forme d’exclusion.
Les théories de l’identité sociale montrent comment l’appartenance à un groupe valorisé ou stigmatisé influence la perception de soi et la dynamique collective. L’appartenance sociale agit sur la confiance et le ressenti.
👉 La diversité réelle commence-t-elle quand l’institution transforme ses pratiques, au-delà de ses discours ?
4. QUESTIONS OUVERTES POUR LA RÉFLEXION
Quelles responsabilités éthiques incombent à une entreprise qui assure un processus de recrutement équitable ?
Quelles sont les responsabilités des employeurs dans la protection de la santé psychologique des candidats, notamment en cas d’exclusion non justifiée et répétée ?
Comment distinguer l’éthique individuelle (du recruteur) de l’éthique institutionnelle dans de telles situations ?
Que vaut un Comité d’éthique si les pratiques contredisent les discours ?
Comment éviter que la transparence des profils atypiques ne devienne un motif de mise à l’écart ?
Comment différencier le positionnement éthique avéré de la communication opportuniste ?
L’inclusion est-elle réelle, ou n’est-elle qu’une vitrine destinée à séduire les tutelles et les investisseurs ?
5. PISTES D'ACTION
Former les recruteurs à une lecture éthique des candidatures
Mettre en place des retours systématiques des candidats
Auditer autrement : comment intégrer l’expérience réelle ?
Labels Diversité : y souscrire ... ou en repenser l’usage ?
Créer une boite à outils pour les candidats : comment distinguer communication et pratiques ?
6. POUR ALLER + LOIN
Références : Code du travail, jurisprudence, Ministère du travail, Village de la justice, IGAS, Directive européenne, Défenseur des droits, Bernadette Rogé, Thomas Bourgeron, Adeline Lacroix, Howard Becker, Erving Goffman, Tajfel & Turner ...


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